Le Paris Noir : une histoire retrouvée, une mémoire partagée

23 mai 2025

Et si Paris vous révélait une histoire qu’on ne vous a jamais racontée ? Le 10 mai, à l’occasion de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions, nous avons arpenté les rues de la capitale avec Le Paris Noir. Notre objectif : remettre en lumière les traces trop souvent effacées des présences africaines et caribéennes. Cette marche mémorielle et politique est un acte fort pour faire valoir notre droit à l’Histoire, à la visibilité et à la transmission.

Cette journée commémorative, fixée au 10 mai en France par la loi Taubira de 2001, rend hommage aux victimes de l’esclavage et de la traite négrière transatlantique, reconnaissant ces atrocités comme crimes contre l'humanité. Le 23 mai, Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition (proclamée par l'UNESCO), renforce cette nécessité de mémoire. C'est dans ce contexte puissant que notre exploration a débuté, nous menant vers des lieux parisiens chargés d'une histoire souvent occultée.

Le Palais Bourbon : témoin d'un passé complexe

Notre parcours a débuté devant le Palais Bourbon, siège de l’Assemblée nationale et symbole imposant de la République. Ce lieu, autrefois demeure de Louise-Françoise de Bourbon, est un témoin silencieux d'un passé colonial souvent occulté. Sa grandeur s'est construite à une époque où l'esclavage prenait forme en France. L'iconographie de l'époque, comme le tableau "Mademoiselle de Blois et Mademoiselle de Nantes" de Pierre Mignard, montre des figures de serviteurs noirs reléguées au rang d'accessoires exotiques, illustrant un ordre racial établi.

Parmi les statues ornant sa façade, celle de Jean-Baptiste Colbert, ministre emblématique de Louis XIV, interpelle. Salué pour ses réformes économiques, son rôle dans la rédaction du Code Noir est trop souvent minimisé. Promulgué en 1685, ce texte a légalisé et encadré l’esclavage dans les colonies françaises au nom du profit. Loin d’organiser une société, le Code Noir a institutionnalisé la violence, la domination raciale et l’exploitation économique. En marchant dans Paris, nous faisons parler les pierres, et à travers elles, nous faisons entendre ce qu’on voudrait encore faire taire.

Blaise Diagne : pionnier et figure ambivalente

En traversant la Seine, nous avons évoqué la figure de Blaise Diagne. Né au Sénégal en 1872, il devint en 1914 le premier député noir africain élu à l’Assemblée nationale, représentant les "quatre communes" du Sénégal – les seules zones coloniales françaises où les habitants autochtones bénéficiaient du statut de citoyens. Figure complexe, Diagne fut également chargé par le gouvernement français de recruter des tirailleurs sénégalais pendant la Première Guerre mondiale, un rôle qui lui valut critiques et controverses, notamment de la part de l’écrivain René Maran.

Rue du Chevalier de Saint-George : figure méconnue

La balade s’est poursuivie rue du Chevalier de Saint-George, nommée en l'honneur de ce musicien, escrimeur et colonel guadeloupéen. Né en 1745 d’une mère esclave et d’un père aristocrate, il fut une figure brillante et trop souvent méconnue des Lumières, incarnant à la fois l’exception et l’exclusion. L'ironie est d'autant plus frappante lorsque l’on sait que cette rue portait autrefois le nom de Richepanse, général missionné par Napoléon pour rétablir l’esclavage en Guadeloupe en 1802.

L'Hôtel de la Marine : au cœur de l'administration coloniale

Non loin de là se dresse l’Hôtel de la Marine. Ancien Garde-Meuble de la Couronne, ce bâtiment fut aux XVIIIe et XIXe siècles l’un des centres névralgiques de la gestion coloniale française. C’est entre ses murs que furent prises des décisions déterminantes sur l’organisation de l’esclavage et de la colonisation. Aujourd’hui, ce lieu accueille à la fois l’Académie de marine et la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, un reflet d’un présent encore habité par les fantômes du passé, où les enjeux mémoriels coexistent avec les vestiges du pouvoir colonial.

Passerelle Léopold Sédar Senghor : entre tuttes et indépendance

Notre marche s’est achevée sur la passerelle Léopold Sédar Senghor, renommée en 2006 en hommage à l’un des penseurs majeurs du XXe siècle. Poète, cofondateur du mouvement de la Négritude, ancien tirailleur fait prisonnier en 1940, puis président du Sénégal indépendant, Senghor incarne une trajectoire faite de luttes, de contradictions et de dignité. Une mémoire vivante, complexe, à la croisée des mondes. À proximité, une statue de Thomas Jefferson, défenseur des droits de l’homme et rédacteur de la Déclaration d’indépendance américaine, rappelle les contradictions de l’Histoire : il était également propriétaire d’esclaves, dont certain·es furent amené·es à Paris, malgré l’interdiction de l’esclavage sur le territoire français.

Un Patrimoine Révélateur : apprendre et déconstruire

Comprendre l’histoire de France à travers le patrimoine parisien, c’est prendre la mesure de récits souvent invisibilisés, mais pourtant fondamentaux. Cette démarche, portée par Le Cercle, nous invite à dépasser les narrations simplistes et à embrasser la complexité d'un passé où grandeur et injustice ont coexisté. C’est aussi accepter de questionner les symboles, les représentations et les choix de mémoire transmis dans l’espace public. Marcher dans Paris, c’est lire entre les lignes de son architecture. C’est comprendre que l’histoire de France ne se résume pas à ses grands hommes et à ses victoires, mais aussi à ses silences, ses violences, ses oublis. Interroger le patrimoine, c’est questionner les symboles qui peuplent l’espace public : qui célèbre-t-on ? Que nous raconte-t-on ? Et surtout, que nous cache-t-on ? Déconstruire, c’est apprendre. Et apprendre, c’est résister.

Pour prolonger la réflexion, voici quelques ressources sélectionnées par Le Cercle et Le Paris Noir :

Livres :

  • L’Histoire des Noirs en Europe, de Olivette Otele

  • Le Code noir, de Jean-François Niort

  • Indemniser l’esclavage en 1848, de Jessica Balguy

  • Nous ne cultivons pas le préjugé de race, de Dominique Chathuant

  • Peau noire, masques blancs, de Frantz Fanon

  • Décolonisons les arts ! de Françoise Vergès, Leïla Cukierman, Gerty Dambury

Podcasts :

  • Les décolonisations africaines – France Inter

  • Le Paris Noir – série de 20 épisodes

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