Discriminations en France : comment l’absence de données rend les inégalités invisibles

29 septembre 2025

Ce que dit la loi française sur les statistiques ethniques

  • Loi Informatique et libertés (6 janvier 1978, art. 8)
    Interdit la collecte ou le traitement de données personnelles révélant l’origine « raciale ou ethnique », les opinions politiques, religieuses ou philosophiques, sauf exceptions très encadrées.

  • Code pénal – article 226-19
    Sanctionne le traitement illégal de ces données par jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende.

  • Conseil constitutionnel – Décision n°2007-557 DC
    Confirme l’interdiction des statistiques ethniques par défaut, mais autorise, à titre exceptionnel, les recherches reposant sur des données objectives (nationalité d’origine, patronyme, ressenti d’appartenance) avec autorisation préalable de la CNIL ou du CNIS et anonymisation stricte.

  • Loi sur le secret statistique (7 juin 1951)
    Garantit que les données recueillies dans les enquêtes publiques sont protégées, anonymisées et ne peuvent pas être utilisées à des fins de contrôle ou de répression.

En France, mesurer la diversité ethnique n’est pas interdit… mais c’est un véritable parcours du combattant réservé à quelques projets de recherche, sous haute surveillance administrative et juridique.

En France, on aime se dire que « nous sommes tous égaux ». C’est beau, c’est noble… mais c’est aussi, parfois, un masque. Car si l’on ne peut pas nommer et mesurer les inégalités, comment espérer les combattre ? Aujourd’hui, l’interdiction de collecter des données sur l’origine ethnique ou raciale des citoyens français empêche de voir toute une partie de la réalité. Et cette invisibilisation est un frein majeur à la justice sociale.

Une loi pensée pour protéger… qui finit par occulter

Depuis la loi Informatique et libertés de 1978, la collecte de données révélant « l’origine raciale ou ethnique » est interdite, sauf rares exceptions avec l’autorisation de la CNIL et sous conditions strictes.
L’intention était louable : protéger contre le fichage, éviter la stigmatisation, ne pas reproduire les dérives tragiques du passé. Mais à force de vouloir effacer les différences dans les chiffres, on finit par effacer aussi les preuves des discriminations.

L’universalisme républicain, une belle idée qui ne suffit plus

En théorie, l’universalisme dit : « peu importe d’où tu viens, tu es citoyen avant tout ». En pratique, certaines origines continuent d’influencer l’accès à un emploi, à un logement ou à un poste à responsabilités. Mais faute de statistiques régulières et précises, il est impossible d’évaluer l’ampleur réelle de ces inégalités.

Les chiffres qui existent révèlent déjà l'ampleur du problème :

  • En moyenne, les candidatures dont l'identité suggère une origine maghrébine ont 31,5 % de chances de moins d'être contactées par les recruteurs que celles portant un prénom et nom d'origine française

  • 9 % des personnes en emploi déclarent avoir subi des traitements inégalitaires ou des discriminations au travail en 2021

  • Plus de la moitié des immigrés déclarent leurs origines comme motif principal de discrimination

Résultat : les discriminations restent souvent perçues comme des « impressions » ou des « cas isolés », alors qu’elles sont structurelles.

Ce qui n’est pas mesuré n’existe pas

Sans données fiables, pas de diagnostic précis. Sans diagnostic, pas de solution efficace. Dans d’autres pays, les statistiques ethniques servent justement à identifier et corriger les écarts de traitement. Au Royaume-Uni, par exemple, elles permettent de mesurer l’accès aux soins, à l’éducation ou au marché du travail selon les groupes, et d’adapter les politiques publiques en conséquence.

En France, nous restons aveugles par choix politique. Un choix qui profite à qui ? Certainement pas à celles et ceux qui subissent le racisme et les discriminations.

La France change, la loi doit évoluer

La force de la société française est plus que jamais sa diversité. En 2023, les immigrés représentent 10,7 % de la population totale, et 7,2 millions d'immigrés vivent en France.
Ignorer cette réalité ne la fera pas disparaître. Refuser de mesurer les inégalités, c’est laisser le terrain libre à leur perpétuation.

Il est temps d’ouvrir le débat : comment collecter des données sur l’origine de manière éthique, anonyme, encadrée, transparente ? Comment s’assurer qu’elles servent à la justice sociale, et non à la division ? D’autres pays le font, pourquoi pas nous ?

Les conséquences concrètes de cette invisibilité statistique

Quand les associations avancent dans le brouillard

Pour les associations qui luttent contre les inégalités, cette absence de données fiables est un obstacle majeur. Sans chiffres officiels, elles doivent se battre avec des témoignages, des études ponctuelles ou des enquêtes internes, souvent jugées « non représentatives ».
Cela complique la recherche de financements, l’élaboration de plaidoyers solides, et la capacité à convaincre les décideurs publics. En clair, elles doivent prouver l’existence d’un problème… sans avoir accès aux outils et aux données fiables pouvoir utiliser les outils les plus puissants pour le démontrer.

Lutter contre les discriminations, ce n’est pas seulement avoir de belles valeurs : c’est se donner les moyens concrets d’agir. Et cela commence par la vérité des chiffres. Tant que nous refuserons de voir la diversité de la France dans nos statistiques, nous accepterons tacitement que l’injustice reste dans l’ombre.

Parce qu’au fond, la vraie question est simple : préférons-nous protéger un mythe… ou protéger les personnes ?

Résultat : beaucoup de causes justes se heurtent à un mur administratif et politique, et les discriminations perdurent dans l’angle mort des statistiques.

Des politiques publiques à l'aveugle

Comment évaluer l'efficacité des dispositifs de lutte contre les discriminations sans données de référence ? Comment mesurer les progrès de l'égalité des chances dans l'éducation ou l'accès à l'emploi sans connaître la composition socio-ethnique des bénéficiaires ?

Les pouvoirs publics naviguent à vue, se contentant d'indicateurs indirects (quartiers prioritaires, établissements en ZEP) qui ne reflètent qu'imparfaitement les réalités des discriminations.

Vers une évolution nécessaire ?

Lutter contre les discriminations, ce n'est pas seulement avoir de belles valeurs : c'est se donner les moyens concrets d'agir. Et cela commence par la vérité des chiffres. Tant que nous refuserons de voir la diversité de la France dans nos statistiques, nous accepterons tacitement que l'injustice reste dans l'ombre.

Parce qu'au fond, la vraie question est simple : préférons-nous protéger un mythe… ou protéger les personnes ?

Des pistes pour l'avenir :

  • Développer des méthodologies de collecte respectueuses de la vie privée et de l'anonymat

  • Limiter l'usage des données à des fins de recherche et d'évaluation des politiques publiques

  • Renforcer les contrôles et sanctions contre tout usage discriminatoire

  • Associer les communautés concernées à l'élaboration des protocoles de collecte

  • S'inspirer des bonnes pratiques internationales tout en les adaptant au contexte français

L'égalité républicaine mérite mieux qu'un aveuglement volontaire. Elle mérite des outils à la hauteur de ses ambitions.

Et vous, qu’en pensez-vous ?


Sources

  1. Duguet, Emmanuel et Pascale Petit, « Discrimination à l'embauche selon l'origine et le genre : défiance indifférenciée ou ciblée sur certains groupes ? », Économie et Statistique, n° 464-465-466, 2013, INSEE.

  2. Études de testing citées dans Duguet, Emmanuel et Pascale Petit, « Discrimination à l'embauche selon l'origine et le genre », Économie et Statistique, INSEE, 2013.

  3. INSEE, « 9 % des personnes en emploi déclarent avoir subi des traitements inégalitaires ou des discriminations au travail en 2021 », INSEE Première, n°1983, 2023.

  4. INSEE, « En dix ans, le sentiment de discrimination augmente, porté par les femmes et le motif sexiste », INSEE Première, n°1911, 2022.

  5. INSEE, « Immigrés et descendants d'immigrés en France », données 2023.

  6. INSEE, « Populations immigrées par département », données 2023.

  7. INSEE, enquête « Trajectoires et Origines 2 » (TeO2), 2019-2020.

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